Imène KhetirComment

Vol 36,5 °C : Bienvenue à bord d’Air Chirurgie Cardiaque

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Vol 36,5 °C : Bienvenue à bord d’Air Chirurgie Cardiaque

Par Imène Khetir

La salle d’opération n’est pas qu’un simple lieu technique. C’est un cockpit pressurisé, un centre de commande suspendu entre la vie et le vide, où la moindre erreur peut faire chuter tout l’appareil. Chaque intervention chirurgicale est un vol à haute altitude : on décolle, on navigue en territoire complexe, on affronte parfois des turbulences, et on espère toujours atterrir sans la moindre secousse. Bienvenue à bord de la chirurgie cardiaque, version avionique. Ici, chaque vol suit le rythme d’une systole maîtrisée. Ce voyage se veut à la fois poétique et rigoureux, une exploration immersive du cœur comme si vous preniez place pour un vol transthoracique. Bon vol!

En prévol, il y a un débreffage minutieux réunissant les membres de l’équipe multidisciplinaire pour discuter du cas clinique du jour, anticiper les difficultés et coordonner les rôles pour que le vol se déroule avec précision. Une fois ce plan établi, chacun prend sa place à son poste, prêt à contribuer à cette mission délicate.

Au centre de ce cockpit, la chirurgienne tient les commandes principales. Calme. Stratégique. Chaque mot, chaque geste, réglé au millimètre, a valeur de directive. Elle lit un cœur comme d’autres lisent un radar. Elle prévoit les tempêtes hémodynamiques avant qu’elles n’arrivent. Elle navigue à travers les tissus aussi précautionneusement qu’une pilote traverse un orage.

L’anesthésiste est le copilote : il anticipe, stabilise et module les paramètres vitaux comme on règle la poussée en croisière. Il contrôle les décibels de la douleur avec la même finesse qu’on ajuste la pressurisation d’une cabine, subtilement et constamment. La profondeur de l’anesthésie est surveillée comme l’altitude : toujours dans la juste mesure. Chaque message du corps est converti en données exploitables, à l’instar d’un copilote interprétant les signaux lumineux du tableau de bord.

L’infirmière instrumentiste? C’est le contrôleur aérien dans la tour. Elle anticipe les trajectoires, livre les instruments au moment exact, parfois avant même que le chirurgien ne les demande. Elle est la mémoire tactique du cockpit. Elle classe, prépare et enchaîne comme si elle avait un plan de vol gravé dans le cortex. 

Le perfusionniste, discret mais central, est l’ingénieur de vol. Il pilote la circulation extra-corporelle avec une concentration de métronome. Sans lui, il n’y a plus de débit, plus de pression, plus de vol. Les préposés, garants de l’ergonomie du vol, ajustent l’environnement et s’assurent que chaque élément soit à portée et en sécurité. 

Les inhalothérapeutes, véritables mécaniciens respiratoires, surveillent et optimisent la ventilation, ajustant les réglages avec la précision d’un technicien qui veille à ce que les moteurs tournent rond. Les techniciens biomédicaux, quant à eux, entretiennent et réparent discrètement les turbines, assurant que rien ne vienne troubler la trajectoire définie. Les résidents, copilotes en formation, prennent parfois les commandes sous supervision, affinant leurs manœuvres et gagnant en assurance pour les futurs vols.

Et là, silencieuse, debout depuis deux heures, une étudiante en médecine. Les yeux grands ouverts, le sourire jusqu’aux oreilles sous son masque. Enveloppée par cette symphonie avionique, elle capte tout : les gestes, les silences, la manière de nouer un fil, de placer un rétracteur, de dire « merci » d’un simple regard. Elle n’est pas dans le cockpit, pas encore. Mais elle observe chaque phase du vol, en rêvant du jour où elle enfilera son propre uniforme de vol stérile.

Les moniteurs bipent comme des altimètres. Les alarmes sonnent comme des alertes de perte de pression. Le bruit du bistouri électrique ressemble au vrombissement d’un moteur au décollage. L’aspiration thoracique évoque le souffle de l’air dans les turbines. Mais personne ne s’affole. Ce n’est pas le chaos : c’est un équilibre subtil entre danger et maîtrise, calcul et instinct, science et art. On parle peu. Tout passe par les gestes, les sons, les regards. Une opération réussie est comme un vol parfaitement silencieux : sans secousse, sans cris, sans drame.

Puis vient le moment le plus surréel : l’arrêt cardiaque volontaire. On coupe le moteur en plein vol. Le cœur s’arrête. La machine prend le relais. La salle se fait cathédrale technique. Le chirurgien agit, le rythme est suspendu. On opère dans l’interstice. On avance entre deux battements. On ajuste une valve, on greffe, on reconstruit ce qui maintient la vie. Parce qu’on sait qu’on relancera. À condition de ne pas perdre le cap.

Chaque opération est un atterrissage à vue. On ferme le sternum comme on abaisse le train d’atterrissage. On réinstalle les signaux, on redonne le contrôle au passager. Le cœur retrouve son autonomie, lentement. À la fin : pas d’applaudissements, pas de champagne. Juste un soupir discret. Un silence respectueux. Le vol est terminé.

Alors la salle se vide, se nettoie, se reprogramme pour le prochain voyage. L’équipage se croise, un clin d’œil, un mot, un geste. Prochaine destination : une autre cage thoracique, une autre urgence, un autre battement à restaurer.

La salle d’op, c’est un vol quotidien vers l’essentiel. Sans public. Sans hublot. Mais avec une précision d’horloger, une chorégraphie de haute altitude et une foi inébranlable dans la trajectoire humaine du cœur. Merci d’avoir voyagé avec Air Chirurgie Cardiaque. Notre équipage vous remercie pour ce vol à haute pression… artérielle. Nous espérons vous retrouver bientôt pour un nouveau décollage vers les veines du savoir!