Hiba MarsileComment

New year, same old me

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New year, same old me

Par Hiba Marsile

Chaque année, des milliers d’étudiants à travers le monde profitent de l’aube d’un nouveau chapitre de leur parcours académique pour se fixer mille et un objectifs, l’un plus ambitieux que le précédent. Et pourtant, à peine quelques jours après le début des cours, c’est presque autant d’étudiants qui sont contraints d’abandonner leur volonté de renouveau au détriment de leurs vieilles habitudes. Car face à l’engrenage des réflexes qui forgent notre quotidien, l’ambition ne fait souvent pas le poids. Il s’ensuit un sentiment de culpabilité d’avoir laisser passé une énième chance de s’améliorer, comme si l’atteinte d’un nouvel objectif n’était possible qu’à certains moments spécifiques de l’année. Ce sentiment pointe du doigt, souvent à tort, un manque de motivation et de discipline. Paradoxalement, l’échec dans l’accomplissement d’un objectif est souvent dû au fait d’associer sa réussite à l’unique facteur de la volonté et de minimiser l’importance des mécanismes neurocognitifs qui permettent la mise en place d’habitudes, et donc,  la réussite des résolutions.  

 

D’abord, les résolutions se manifestent sous deux formes, soit l’intégration d’un nouveau comportement qui nous rapproche d’un idéal souhaité, ou l’abandon d’un comportement qu’on considère aujourd’hui néfaste. En d’autres mots, pour qu’une résolution soit maintenue et réussie, il faut généralement qu’une habitude soit adoptée ou abolie. Or, apporter des modifications à notre routine n’est pas chose facile, car cela consiste à réorganiser nos circuits neuronaux, et ce, par le biais de notre neuroplasticité qui, bien que très marquée durant la jeunesse, tend à diminuer avec l’âge (1).  

 

En fait, c’est près de la moitié de nos actions journalières qui sont ancrées dans notre cerveau, et que nous réalisons de manière relativement automatique dans des contextes particuliers. Les habitudes nous permettent donc de réduire notre charge cognitive lors de certaines actions répétitives, ce qui rend leur exécution beaucoup plus facile à entamer, même lorsqu’il s’agit d’activités peu stimulantes, psychologiquement épuisantes ou physiquement exigeantes (1).  

 

Un bon exemple est celui d’une course matinale hebdomadaire qui s’est consolidée en une routine au fil des mois. L’entraînement demeure astreignant et, pour beaucoup, une grasse matinée est plus tentante, mais son accomplissement suscite considérablement moins de conflit interne et d’opposition puisqu’il est amorcé de manière presque robotique. Toutefois, pour que le jogging matinal affronte plus facilement les résistances motivationnelles comme une mauvaise nuit de sommeil ou un matin maussade, cela peut prendre du temps. En effet, bien qu’une habitude puisse se développer en à peine une vingtaine de jours, certains comportements prennent plus de huit mois à être adoptés (2). Les premières matinées restent ainsi particulièrement vulnérables à l’abandon précoce. C’est justement durant les premières répétitions d’une action susceptible de devenir une habitude que plusieurs résolutions échouent, non pas par manque de volonté, mais parce que les structures nécessaires à son automatisation n’ont pas été mises en place.  

 

En effet, pour qu’un comportement devienne une habitude, il faut que celui-ci passe d’une action flexible et intentionnelle principalement médiée par le cortex préfrontal, à une réponse automatique face à un environnement particulier ou à un stimulus (3). À force de reproduire une action de manière constante et dans le cadre d’un contexte particulier, elle est de moins en moins contrôlée par le cortex préfrontal et dépend davantage des circuits des ganglions de la base, en particulier le striatum dorsolatéral. À ce stade, la dépense énergétique neuronale pour cette action est à son plus bas, au plus grand bonheur de notre cerveau (4).  

 

Pour faciliter cette transition (ou y mettre un terme), il est important de mettre l’accent sur les trois éléments clés qui composent la boucle de l’habitude, conceptualisée par Charles Duhigg dans Le pouvoir des habitudes : le déclencheur, l’action répétée et la récompense (5). Le déclencheur est ce qui initie l’action et peut être un lieu, une heure, voire un sentiment. L’action peut, par exemple, être déclenchée par une alarme qui indique l’heure habituelle d’un effort physique. Quant à la récompense, elle peut aussi bien prendre la forme d’un renforcement positif que d’un renforcement négatif. Il est donc tout aussi possible qu’une habitude soit mise en place dans le but d’en tirer un bénéfice que d’éviter un désagrément (6). Ce dernier élément scelle l’apprentissage d’une nouvelle habitude, car c’est la récompense qui provoque une augmentation de la fréquence de décharge des neurones dopaminergiques, ce qui renforce les connexions synaptiques au sein du striatum dorsolatéral. À mesure que l’action s’automatise, les décharges de dopamine débutent au moment du déclencheur sans attendre la perception de la récompense (7). Ainsi, puisque la dopamine devient progressivement libérée en réponse au stimulus, il existe une solution simple — mais pas infaillible — pour se débarrasser d’une mauvaise habitude : plutôt que de complètement briser le cycle, il est possible de modifier l’action tout en conservant les deux autres composantes de la boucle. Par exemple, dans une situation d’ennui, une tendance à scroller indéfiniment sur les réseaux sociaux peut être substituée par une activité plus saine comme une marche en écoutant son balado favori ou un moment de lecture (7).  En bref, ces trois piliers qui régissent l’adoption d’une habitude sont les principales cibles lorsqu’il s’agit de modifier nos routines et ouvrent la porte à un contrôle considérable sur l’intégration ou l’inhibition de comportements dans notre quotidien.  

Au-delà de la maîtrise des mécanismes neurocognitifs qui gouvernent l’automatisation des comportements, l’atteinte d’objectifs passe d’abord par la formulation d’intentions claires, réalistes et surtout, adaptées à notre réalité, car des résolutions déraisonnables n’aboutissent qu’à de la frustration et de la fatigue mentale (8). Nous vivons dans une ère qui glorifie le travail sur soi et le développement personnel, et cette nouvelle vague semble se faire de plus en plus au détriment du bien-être individuel et au bénéfice de l’acceptation sociale. Il existe effectivement une vision commune de ce à quoi une journée « idéale » devrait ressembler : entre les réveils aux aurores, les longues sessions d’exercices quotidiennes et les régimes alimentaires trop stricts pour être universalisés, nous avons collectivement dépeint une vision rigide et peu accessible de la réussite. Or, le ciel n’est la limite que pour ceux qui ont les moyens de prendre l’avion. Pour  d’autres, le voyage se fera à travers les chemins terrestres, sans pour autant que la destination ne diffère.