Bouillon de poulet, version gaspésienne

Par Laurie-Anne Laberge-Desjardins
Chère poulette, cher poulet,
En cette rentrée scolaire, j’ai envie de te partager mon aventure estivale. Cet été, j’ai complété un contrat de travail en Gaspésie. Ainsi, après l’arrêt obligé à la fromagerie des Basques et celui à la boulangerie de Kamouraska, après avoir longé le fleuve, traversé le brouillard de Murdoch et même aperçu de la neige sur Porphyre, je me suis retrouvée catapultée dans une petite ville qui m’était quasi-inconnue pour un emploi un peu hors de ma zone de confort. Voilà de quoi se déstabiliser, de quoi nourrir l’aventure, ai-je pensé…
Quelques semaines après mon arrivée, je fais la rencontre d’un sympathique pêcheur qui me confie un petit secret sur une activité à faire dans la région : « Chère, chaque dimanche, il y a des régates. Puis, les gens ne le savent pas, mais tu peux aller à la marina pour monter à bord du voilier d’une équipe participante! »
Quelques jours plus tard, je me rends donc à la marina où Benoît, surnommé Capitaine Ben, et son équipage m’accueillent gentiment à bord d’un énorme voilier. Bien excitée par cette nouvelle expérience en mer, j’essaie de démêler mon tribord de mon bâbord… Nul besoin de ressortir mes bandes dessinées de Tintin : le Capitaine me donne une brève explication des principes du voilier, puis se lance dans une présentation passionnée des environs que nous naviguons. Ben me donne l’impression de parler un langage salin et velouté, comme porté longuement par le chenal maritime. Il décrit la côte et le fleuve avec précision et des étincelles dans les yeux. J’observe la mer qui file près du bateau, limpide et puissante. « La mer m’a enchaîné au présent. Elle est entrée dans ma phrase et m’a appris à aimer la simplicité très travaillée des formes simples », écrit Perrine Leblanc.
Tiens, voilà Penouille! Je me mets à penser aux baleines que j’y ai aperçues quelques jours plus tôt, majestueuses et magiques. Je pense aux algues qui jonchent la rive : les dulses, les laminaires et autres salades de mer, celles que j’ai appris à identifier et à cuisiner grâce aux savoirs partagés des locaux. Ces Gaspésiens rencontrés par hasard ou dans le cadre de mon travail m’ont regardée droit dans les yeux, avec un regard rempli de chaleur et de compassion pour la nouvelle arrivée un peu déboussolée que j’étais. On m’a pris la main, on m’a invitée à nager dans la mer, à sauter en bas du pont à Haldimand, à découvrir les secrets de Forillon et à courir dans les sentiers du Mont Béchervaise. À travers toutes ces expériences en nature, j’ai eu l’impression de m’y reconnaître. « N’est-il pas curieux que ce mot ‘’reconnaissance’’ désigne à la fois le fait de retrouver une chose déjà vue, éprouvée ou pressentie et dont nos souvenirs engendrent un écho, en même temps qu’il nomme l’acte de partir à la découverte d’un territoire encore inexploré ? » (Fortier, 2024).
Je pense à l’odeur enivrante et unique de Gespeg, cette « fin des terres », un mélange de varech, de musc boisé et d’une touche sucrée provenant des rosiers sauvages et du mélilot. Je pense aux couchers de soleil de couleurs et de textures si complexes que mes mots semblent limités pour les décrire. En Gaspésie, j’ai ressenti cette sensation d’être immergée par l’immensité de la nature environnante à plusieurs reprises. Il me vient en tête cette lecture symbolique sur la solastalgie que j’ai faite durant mon séjour : « L’identité environnementale se développe donc en fonction des lieux et des expériences qui sont vécues par le corps. C’est à travers ces sensations corporelles que nous arrivons à comprendre le monde, à l’absorber, en quelque sorte, ou à nous y accorder. Notre lien n’est pas seulement intellectuel; il est vécu, senti, intégré. » (D’Amours, 2021). Ça donne envie de renouer avec toutes ces sensations que nous procurent l’environnement, ailleurs, oui, mais aussi chez soi, au quotidien. Et d’en prendre soin aussi!
La voix de Benoît me sort de mes divagations : « Attention! Nous allons faire un empannage! »
Oh mais attendez! Mon poulet! Ma poulette! Avant la manœuvre fatidique, je veux te souhaiter une heureuse rentrée scolaire! Cet automne, je te souhaite d’être déstabilisé.e, de naviguer dans cet espace (peut-être liminal : https://www.lepouls.ca/articles/chronique-poulet-poulette) en acceptant d’être quelque peu déboussolé. Je te souhaite de (re)trouver des petits bouts de toi, de te les approprier et de les arborer fièrement! Mais surtout, j’espère que tu garderas bien précieusement, au creux de ta poche, comme une amulette, ton désir de jouer et d’apprendre, ainsi que ce précieux pouvoir qu’est celui de s'enthousiasmer!
Alors, paré.e.s pour l’empannage?
Bonne rentrée!
Références:
D’Amours, C. (2021). Les paysages intérieurs. Éditions Alto.
Fortier, D. (2024). Quand viendra l’aube. Éditions Alto.
Leblanc, P. (2022). Petite nature. Éditions Gallimard.
*Afin de préserver l’anonymat, des noms fictifs ont été utilisés dans ce texte.