L’utopie de la médecine moderne

Par Genesis-Tamara Lemus Figueroa
En collaboration avec Prima Mab
La médecine n’a pas toujours été une utopie pharmacologique telle qu’elle l’est aujourd’hui. À ses débuts, elle reposait sur la connaissance des plantes et de leurs bienfaits. Au Canada, l’histoire dénote l’utilisation des plantes médicinales par les Autochtones, bien avant l’arrivée des colons français, qui ont d’ailleurs pu bénéficier des concoctions autochtones d’aiguilles et d’écorce d’épinette blanche pour traiter le scorbut qui les affligeait (1). De nos jours, il suffit d’une supplémentation en vitamine C et d’une alimentation riche en antioxydants pour s’en sortir. Il faut dire que, depuis l’arrivée de la pharmaceutique moderne, la médecine traditionnelle n’a jamais fait bonne figure. Quel genre de médecin (probablement un charlatan, vous diriez) recommanderait à son patient d’aller infuser un oignon dans du miel et d’en boire deux cuillères à chaque jour pour guérir sa toux alors qu’il y a un antibiotique industriel disponible? Or, c’est précisément ce qui m’a guérie lorsque je suis tombée malade d’une toux grasse qui n’en finissait plus, alors même que l’amoxicilline n’a rien fait. Il faut toutefois nuancer la chose. La médecine moderne a fait ses preuves, et les avancées technologiques ont certainement contribué à l’amélioration de la qualité de vie dans la majorité des cas. Cependant, en accordant toute notre attention aux thérapies modernes, on dénigre des thérapies qui pourraient parfaitement convenir à certains patients. Ça a été le cas pour Prima, une femme inspirante avec laquelle j’ai eu l’honneur de converser autour d’un café.
Originaire d’Afrique, femme de 34 ans, Prima est membre du programme Patient-Partenaire de l’Université de Montréal. Ayant reçu un double diagnostic de fibromes et d’endométriose stade 4, elle a vu sa qualité de vie se détériorer considérablement au fil des mois entre 2021 et 2025. L’endométriose est une pathologie de l’utérus qui se caractérise par la prolifération progressive de l’endomètre sur les organes connexes et qui est souvent due à un débalancement hormonal lors des menstruations, ce qui cause une douleur intense lors de ces dernières, de la nausée et de la fatigue, entre autres. (2) Une femme sur dix souffre d’endométriose et 70% des femmes qui consultent pour des douleurs pelviennes en sont atteintes (3). Quant aux fibromes, ce sont des tumeurs bénignes de l’utérus qui peuvent entraîner des saignements utérins anormaux, des douleurs et d’autres complications importantes (4). Dans le but d’arrêter la progression de sa maladie, le médecin de Prima lui a recommandé une ménopause artificielle qui mettrait un terme à ses menstruations. Or, malgré cette prescription, la douleur et l’inconfort de Prima n’ont fait qu’augmenter, non seulement à cause de la maladie, mais aussi à cause des effets secondaires de la ménopause artificielle. Il faut dire que la ménopause artificielle provoque les mêmes symptômes que la ménopause naturelle, mais de façon plus intense, puisque c’est soudain (5). Les douleurs étaient telles que Prima consommait jusqu’à 1500 mg de Tylenol par jour pour être en mesure de fonctionner. C’est ainsi que, sans trop y croire, sous les recommandations d’une amie, Prima a commencé à prendre des tisanes d’une naturopathe. Ses douleurs ont alors disparu dans les jours qui ont suivi. Elle a alors pris la décision d’arrêter la prescription de ménopause artificielle pour retrouver une certaine qualité de vie. Elle attend présentement une chirurgie qui devrait soulager considérablement sa souffrance quotidienne. Lorsque je lui demande si elle regrette d’avoir arrêté son traitement pharmaceutique au risque de favoriser la progression de son endométriose, elle me dit avoir fait son choix en écoutant les besoins de son corps pour reprendre un certain contrôle de sa vie. Prima déplore qu’elle n’ait jamais eu le choix, lors de sa visite chez le médecin, de décider de son traitement. En fait, on ne lui avait même pas mentionné les effets négatifs, pourtant graves, de la ménopause artificielle. Elle déplore surtout qu’on ne lui ait jamais mentionné qu’il existait des options naturelles pour diminuer sa douleur. Au lieu de ça, on lui a offert des « traitements » qui, en ne traitant pas la cause de sa maladie, ont contribué à sa souffrance. L’histoire de Prima illustre parfaitement à quel point le combat des patients dans le système de santé québécois peut être long avant de trouver ce dont ils ont besoin, ce qui peut mener à des complications de leurs maladies et les pousser à trouver eux-mêmes, comme dans son cas, des alternatives naturelles afin de soulager leur souffrance. Tout est une question d’équilibre.
La vérité, c’est qu’il est très probable que le médecin de Prima n’ait pas eu conscience qu’il existait des options naturelles à la maladie de sa patiente, encore plus probable qu’il n’ait pas su où chercher les informations même s’il avait voulu. En fait, seuls des naturopathes auraient pu le faire au Québec. La naturopathie est un « ensemble de méthodes et de techniques qui vise à équilibrer ou rééquilibrer le fonctionnement de l’organisme afin de conserver ou recouvrer la santé » (6). Elle s’inscrit notamment dans la médecine non-conventionnelle au même titre que la médecine chinoise selon l’OMS. En 2023, le Canada comptait 8700 docteurs (es) en naturopathie (7). Au Québec, la profession n’est pas réglementée ni reconnue par l’Office des professions du Québec. On peut toutefois joindre l’association des naturopathes agréés du Québec. De plus, la phytothérapie, une des branches de la naturopathie, ne fait pas partie des programmes de médecine au Canada. Plusieurs raisons expliquent cette situation. Premièrement, pendant longtemps, on a cru que les plantes n’avaient que de bons effets. Or, on sait maintenant que plusieurs plantes ont des effets secondaires indésirables, et que certaines peuvent même interagir avec des médicaments et nuire à leurs effets, ce qui peut être potentiellement dangereux pour le patient. Par exemple, le jus de pamplemousse, riche en vitamine C et antioxydants, peut inhiber le CYP3A4, une enzyme du foie qui métabolise de nombreux médicaments, augmentant ainsi la concentration du médicament dans le sang et ses effets indésirables. De plus, il peut inhiber les transporteurs apicaux d’efflux ABC et OATP au niveau de l’intestin, ce qui a pour effet d’augmenter encore une fois les concentrations plasmatiques du médicament. Il est donc grandement recommandé de consulter un médecin avant de prendre un produit naturel alors qu’on est déjà sous traitement. Également, les effets néfastes des plantes restent grandement méconnus, car rares sont les essais cliniques qui s’y attardent. En effet, ces études peinent à trouver du financement, car c’est impossible de les rentabiliser. Pensez-y. Si les pissenlits se révélaient être un remède pour la toux, comment en vendre alors qu’on peut les cueillir dans notre jardin? Le problème à l’heure actuelle, c’est qu’il y a des patients comme Prima qui bénéficieraient grandement d’une thérapie naturelle combinée aux thérapies plus conventionnelles de la médecine moderne, mais l’option n’est tout simplement pas offerte lors des visites cliniques.
Bref, il est difficile d’en vouloir aux médecins qui n’ont jamais été formés à le faire de ne pas recommander des produits naturels à leurs patients. Cependant, je crois qu’il est nécessaire de sensibiliser les cohortes de futurs médecins à la profession de naturopathe afin qu’ils puissent leur référer des patients qui pourraient bénéficier d’une médecine traditionnelle complémentaire à la médecine moderne. Une reconnaissance du travail des naturopathes au Québec, notamment par la formation d’un Code des médecins naturopathes du Québec, permettrait d’homogénéiser la pratique et de s’assurer d’une conduite réglementaire au Québec. Imaginez un monde où le médecin de famille communiquerait avec un naturopathe comme il communique déjà avec d’autres spécialistes afin d’offrir le meilleur soin possible au patient selon ses besoins, et ce, dans une optique de complémentarité entre la médecine moderne et la médecine traditionnelle. Voilà qui est avant-gardiste…
Une dédicace particulière à Prima, qui a eu la gentillesse et le courage de se confier à moi.
https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/histoire-de-la-medecine-jusqua-1950
https://www.mayoclinic.org/diseases-conditions/endometriosis/symptoms-causes/syc-20354656
https://cancer.ca/fr/treatments/side-effects/treatment-induced-menopause
https://www.guichetemplois.gc.ca/rapportmarche/perspectives-profession/22720/ca