Entre ciel et terre

Par Marilie Chalifoux
On dit que les chats possèdent neuf vies. Ces acrobates sautent du haut d’un immeuble, indifférents à la menace de la gravité, avant de percuter le sol… puis de se relever avec prestance, affichant une nonchalance qui frôle l’indécence. Vous vous dites, bien sûr, que cet exploit semble hors de votre portée. Pourtant, détrompez-vous. Vous aussi avez cette capacité inouïe de chuter de bien haut — à travers vos pensées, souvenirs et expériences — et d’échapper aux lois du monde physique, pour ensuite reprendre votre quotidien comme si de rien n’était.
Lorsque l’on parle du vécu, ce sont souvent vos expériences tangibles qui vous viennent à l’esprit : des souvenirs qui ont façonné la personne que vous êtes aujourd’hui. Pourtant, vos pensées ont elles aussi joué un rôle décisif dans la construction de votre identité. Ces moments de réflexion, qui peuvent sembler n’être que de la rêverie passive, s’entrelacent avec l’existence matérielle, contribuant à modeler votre vision du monde et à influencer vos actions. Évidemment, vous ne possédez qu’une seule existence ancrée dans le monde physique. Néanmoins, à l’instar d’un chat aux multiples vies, vous avez la capacité de générer des univers alternatifs qui influencent vos décisions dans la réalité, laquelle conserve, dans son unicité, un caractère inestimable.
Après tout, qui n’a jamais exploré, ne serait-ce que le temps de quelques secondes, une réalité alternative, riche en aventures qui, bien qu’irréelles, vous ont semblé aussi palpables que vos souvenirs ? Dans ces moments de torpeur, des heures, voire des jours, peuvent s’écouler dans un tumulte de couleurs, de sons et d’émotions, dans le silence immuable du monde tangible. Pendant que vous matérialisez des paysages chimériques, des fragrances inconnues et des camaïeux d’émotions aux mille nuances, le temps semble se plier à votre volonté. Puis, un bref stimulus issu de votre environnement vous ramène à la réalité. Vous jetez un rapide coup d’œil à l’heure, et pourtant, seules quelques minutes se seront écoulées.
La vie est courte, je vous le concède, et il est nécessaire de profiter de chaque instant. Malgré tout, ne culpabilisez pas de vous perdre dans les méandres de votre esprit. Ces moments, aussi fréquents soient-ils, constituent des expériences uniques qui, même vécues passivement, vous font goûter la vie. Ces deux réalités, la tangibilité et les pensées, se complètent et se nourrissent mutuellement, chacune contribuant, à sa manière, à vous faire découvrir la complexité de l’existence. Cette dualité constitue une part profonde de notre humanité. Vous êtes à la fois acteurs et spectateurs de votre propre existence, autant ici, dans le monde réel commun à tous, que dans l’imaginaire, unique à chacun d’entre vous.
Durant ces vacances d’été, beaucoup d’entre vous ont pu voyager, que ce soit dans la tangibilité ou dans les replis de votre esprit. Ces deux types d’expériences, fort différentes au premier abord, détiennent toutefois le pouvoir de rendre le temps malléable et de vous faire vivre des moments insoupçonnés. N’oubliez donc pas que ces voyages intérieurs vous font ressentir et expérimenter de nouvelles réalités. On fait souvent l’éloge, à juste titre, de ceux qui savent apprécier les petits instants de la vie. Pour ma part, je vous encourage également à savourer les moments de contemplation qui, bien que plus abstraits, possèdent leur propre richesse.