Loi 21 : discrimination voilée

Loi 21 : discrimination voilée

par Alaa El Bashtaly

Le projet de loi sur la laïcité de l’État proposé par le ministre de l’immigration, de la diversité et de l’inclusion est discriminatoire. M. Legault aime bien dire que cette loi reflète un « Québec modéré » et que l’on pourrait « enfin tourner la page » sur la question de la laïcité et de passer aux choses importantes. Il est allé même jusqu’à dire que cette loi est nécessaire afin de protéger l’identité québécoise. J’admire son choix de mots qui interpelle sa base électorale sans ouvertement exprimer les intentions réelles de ce projet de loi. À chaque fois qu’émerge le débat sur la laïcité, les minorités religieuses sont dépeintes comme une menace à l’identité québécoise et à la cohésion sociale. Il faut alors les assimiler afin qu’ils se fondent dans le décor ou carrément les rejeter. Cette rhétorique envoie un message clair que les minorités religieuses ne sont pas des québécois et ne font donc pas partie de l’identité du Québec. Qu’ils fassent partie du marché du travail, qu’ils parlent la langue de leur pays d’accueil ou qu’ils s’identifient eux-mêmes comme québécois n’est pas suffisant pour mériter cette étiquette. Peu importe leur niveau d’intégration à la société, les immigrants qui choisissent d’afficher leur identité religieuse, tel que le permet la charte des droits de la personne, seront toujours identifiés comme « l’autre ».

Pourquoi? Je me pose souvent cette question depuis le 28 mars. Quand on légifère, il faut savoir pourquoi. Quel est le but de cette loi? Les auteurs et supporteurs de la loi 21 veulent assurer la laïcité de l’État. C’est un enjeu de grande importance au Québec et dans la plupart des sociétés pluralistes, avec bonne raison. La laïcité prend différentes formes. Elle est généralement définie par quatre principes : la protection de l’égalité des personnes, la protection de la liberté de conscience et de la liberté de religion, la séparation des religions et de l’État et la neutralité de l’État face aux religions.

 La loi 21 créée deux classes de citoyens et empêche les minorités d’avoir accès aux mêmes opportunités que le reste de la population. Elle donne l’illusion de modération avec la clause grand-père qui permet aux personnes portant des signes religieux de garder leur emploi actuel, mais les oblige à s’en débarrasser s’ils veulent changer de poste ou être promus. L’inégalité et la discrimination sont flagrantes, mais le gouvernement déclare sans gêne que c’est justifié. Cette loi qui prône l’égalité entre les hommes et les femmes va principalement affecter les femmes musulmanes qui se verront refuser l’accès à des emplois en raison de ce qu’elles portent. Le soi-disant « féminisme caquiste » sonne étrangement comme un oxymore. 

Le deuxième principe de la laïcité est celui de la liberté de religion. Selon l’Observatoire de la Laïcité, un état laïque devrait garantir le libre exercice des cultes et la liberté de religion tout en assurant que personne ne peut être contraint au respect de dogmes ou prescriptions religieuses particulières. Le rôle d’un gouvernement laïque n’est donc pas d’obliger les minorités à choisir entre leur foi et leur emploi. Plutôt que de protéger le droit de religion de tous, la CAQ préfère enlever ce droit aux minorités au nom de la protection identitaire et de l’harmonie sociale. C’est du « totalitarisme laïque » qui opprime les minorités et facilite leur discrimination.

Quant à la séparation des religions et de l’État, il n’y a pas de besoin objectif de faire de la laïcité une loi au Québec. La province est laïque de facto, les institutions religieuses n’ont pas d’influence politique et la séparation de l’Église et de l’État est faite depuis belle lurette. Il y a toutefois un besoin politique lié à la perception que les minorités religieuses posent une menace. Dans le climat actuel de tensions politiques et sociales, le gouvernement a choisi d’exacerber les divisions plutôt que d’unifier la société québécoise. Le gouvernement aurait pu s’attaquer à une myriade de problèmes plus pressants, mais a plutôt opté d’enlever un droit fondamental à un groupe ciblé de citoyens.

Le dernier principe de la laïcité est la neutralité de l’État face aux religions. La neutralité de l’État est nécessaire pour assurer la liberté de religion pour tous et empêcher toute discrimination basée sur la religion. Ce sont les institutions qui doivent demeurer neutre, et non les individus. Les employés de l’État se doivent d’exercer leurs fonctions avec impartialité et sans faire de prosélytisme. Le fait de porter un signe religieux ne signifie pas nécessairement qu’on impose ses croyances aux autres et n’empêche pas la personne d’être impartiale et neutre. M. le premier ministre aime bien utiliser les enfants comme pion politique dans ce débat. Il se demande si une enseignante voilée est un bon modèle pour les jeunes filles, il veut qu’on pense à ce qui est mieux pour nos enfants.  Une enseignante portant le hijab ne reflète pas l’oppression des femmes ou l’extrémisme religieux, elle représente la diversité et la liberté. Si elle envoie un message implicite à ses élèves, c’est celui que toute personne, peu importe son ethnie ou religion, peut atteindre son rêve d’enseigner et de former les générations futures. Elle montre aux jeunes filles qu’elles peuvent avoir n’importe quel emploi et qu’elle ne laissera pas un homme en position de pouvoir dicter ce qu’elle doit porter pour travailler.

Cette législation est une invitation ouverte à la discrimination et ses conséquences sociales seront dévastatrices. Le Québec aime bien prendre exemple sur la France où des lois similaires ont été adoptées. Ladite cohésion sociale n’a jamais été atteinte en France. En fait, les divisions sociales s’empirent et les immigrants sont ghettoïsés. Le rôle d’un gouvernement démocratique n’est pas d’exaucer les vœux de la majorité au gré des droits fondamentaux de la minorité. Il y a plusieurs chemins à prendre pour arriver à l’harmonie sociale, mais celui que la CAQ cherche à suivre nous mènera certainement au précipice.