Le Pouls

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CONSPIRATIONNISME : VECTEUR DE LA COVID-19

par Marc-André Breton

Le web amène de nombreux avantages, comme par exemple les memes, les Tiktoks et les cours sur Zoom. Les médias sociaux tels que Facebook et Twitter permettent malheureusement aussi la propagation d’idées conspirationnistes à la vitesse Grand V, alors qu’elles étaient historiquement limitées à de petites audiences en personne. L’intérêt grandissant des conspirations, dans le contexte d’une pandémie mondiale, amène certains dangers au sein de la population : irrespect des mesures sanitaires, crainte envers la vaccination, montée du racisme et des groupes extrémistes, etc. Il est du devoir de la communauté scientifique, y compris les étudiants en santé et science, d’être pro-actif et de s’impliquer davantage dans l’éducation sociétale. Promouvoir la santé ne se fait pas juste en bureau.

Conspirations : dangereuses, point final 

Une étude publiée par des chercheurs de l’Université McGill en juin dernier dénonce les dangers de la désinformation. Elle démontre que les Canadiens utilisant les médias sociaux comme source d’information ont moins tendance à respecter les recommandations de la santé publique, contrairement aux consommateurs des médias journalistiques. « Il y a des évidences croissantes que la mauvaise information circulant sur les réseaux sociaux pose des risques pour la santé publique » (traduction libre) explique Taylor Owen, co-auteur de l’étude1. Selon des sondages publiés par l’INSPQ, le tiers de la population québécoise pense que le gouvernement cache des informations : le quart croit que le virus a été créé en laboratoire, et une minorité croit en un lien avec les tours de communication2. 

La diffusion d’informations erronées est si problématique que l’OMS a publié des recommandations quant à la gestion de l’infodémie - surabondance d’informations - sur la covid-19. L’OMS indique que « la diffusion de fausses informations coûte des vies. S’il n’existe pas un climat de confiance (…), la population n’utilisera pas les tests diagnostiques, les campagnes de vaccination n’atteindront pas leurs objectifs et le virus continuera à se propager »3. 

Montée conspirationniste : une désinformation à la fois

Connaissant les dangers de la désinformation, il est important de comprendre les facteurs qui ajoutent de l’essence dans la voiture conspirationniste liée à la covid-19. Comprendre d’où vient le problème permettra de mieux cerner les pistes de solution. 

Tout d’abord, le monde politique pèse énormément dans la balance de la désinformation.  Le 25 juillet 2020, le président du Brésil, Jair M. Bolsonaro, posait fièrement avec une boite d’hydroxychloroquine sur son compte Twitter après s’être remis de la covid-19. Qu’en dit la science? Plusieurs centaines d’étude ont tenté de démontrer un avantage de prendre ce médicament en contexte covid-19, mais la position de l’INESS en date du 15 juin 2020 ne le recommandait toujours pas en prophylaxie ou comme traitement pour les cas légers et sévères4. 

Il ne faut pas non plus oublier le président des États-Unis, Donald Trump, et son administration. Trump répète sans cesse « le virus chinois », ce qui contribue à la stigmatisation de la communauté chinoise, voire même asiatique. Il suggère des traitements sans fondement ; désinfectant, hydroxychloroquine et chaleur, et compare la covid-19 à la grippe. Son secrétaire d’État, Michael Richard Pompeo, a même défendu l’idée de la création du virus en laboratoire. Sans surprise, une étude a conclu que Trump « était probablement le plus grand moteur de la désinformation infodémique par rapport à la covid-19 »5. 

Comme lors d’une épidémie, il existe des moments de super-épandeur (superspread) pour les fausses croyances, explique Joan Donovan, sociologiste à l’Université de Harvard. L’un de ceux-ci s’est produit lorsque Roger Stone, ancien assistant-politique du président Trump, a expliqué que le vaccin Gates servirait à injecter une micro-puce. Le New York Post a couvert l’entrevue et publié un article sur Facebook, sans mettre en lumière la fausseté de l’information. L’article a été commenté, aimé et partagé plus d’un million de fois6.  

Enfin, l’incertitude de la population à l’égard de la science, combinée à une frustration croissante pour les mesures de confinement et une économie incertaine ont créé la tempête parfaite pour le partage des fausses croyances et la radicalisation. Ces émotions sont utilisées par certaines communautés extrémistes et groupes de propagande haineuse afin de nourrir leur agenda : blâmer les immigrants d’avoir propagé le virus, promouvoir la vague anti-vaccin ou défendre l’utilisation du virus comme arme par l’État profond (hiérarchie parallèle, au sein d’un État, qui détient secrètement le pouvoir décisionnel) pour contrôler la croissance populationnelle. Citons en exemple la Fondation pour la défense des droits et libertés du peuple, un groupe québécois ayant vu le jour le 7 mai dernier qui concentre ses efforts sur l’organisation de marches pacifiques pour la « libération du peuple » partout au Québec. Ce groupe a amassé plus de 480 000$ via un « webothon » et en a investi la moitié dans des recours juridiques contre le gouvernement provincial et fédéral. Il dénonce que la « pandémie covid-19 a été pré-planifiée », que c’est un « complot dirigé par Bill Gates et autres milliardaires (…) »7. 

Ses membres, par ailleurs, sont un peu moins crédibles que les Avengers. D’un côté, il y a les conspirationnistes : Lucie Laurier milite énormément contre la vaccination obligatoire et le port du masque, alors qu’Alexis Cossette-Trudel joue un rôle central dans la dissémination des théories de la mouvance QAnon (groupe luttant contre les élites fantasmées politique, scientifique et économique) au Québec et en France, en plus d’affirmer que « tout le monde autour de Justin Trudeau baigne dans la pédophilie ».  D’un autre côté, il y a les extrémistes de droite : André Pitre et Steeeeeeeeeeeve « L’artiss » Charland qui sont respectivement un ancien conférencier et un ex-dirigeant du groupe identitaire La meute (groupe d’extrême droite xénophobe, islamophobe, suprématiste et ultranationaliste8). Finalement, il y a Mario Roy, un autre exemple révélateur, membre du groupe ultranationaliste « Storm Alliance », selon qui une bonne partie des employés de la DPJ participent « à un réseau d’enlèvements d’enfants ». En somme, comme affirme David Morin, cotitulaire de la Chaine UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent de l’Université de Sherbrooke, des individus de la droite identitaire radicale et conspirationniste se sont liés afin de combattre un nouvel ennemi : le gouvernement et l’élite9. Avengers, assemble? Non merci.  

Pour résumer, les idées conspirationnistes sont en montée fulgurante dans le contexte de la pandémie en raison notamment de politiciens mal informés, de moments super-épandeurs et d’un environnement d’incertitude et de peur. Cette désinformation est dangereuse pour la santé publique, car elle invite les gens à ignorer les mesures sanitaires et critique ouvertement la vaccination, en plus de nourrir un discours haineux à l’égard du gouvernement et un discours xénophobe.  Quels moyens peuvent donc être utilisés afin de contrebalancer ce cocktail explosif? 

Montée scientifique : une référence à la fois 

Afin d’aplatir la courbe de la désinformation, les géants du web soit Facebook, Twitter et YouTube ont commencé à censurer certains usagers. Le spécialiste en communication Scott Brennen et son équipe du Oxford Internet Institute ont suivi 225 désinformations à propos du covid-19 entre janvier et mars 2020. À la fin mars, 25% de ces publications étaient toujours sur Facebook et YouTube, et 59% sur Twitter10. Un bon premier pas dans l’éradication de la pseudoscience, certes, mais l’information produite est si massive que les compagnies chargées de la vérifier sont débordées. De plus, certaines tactiques permettent d’échapper à la censure : groupes privés sur Facebook, utilisation de médias non-censurés (WhatsApp) ou republication. 

Une autre façon de contribuer est d’offrir du contenu de qualité sur les réseaux sociaux. Les gouvernements ont ce pouvoir : l’OMS suggérait justement aux « États membres d’élaborer et de mettre en œuvre des plans d’action pour gérer l’infodémie en favorisant la diffusion rapide d’informations exactes (…), et en prévenant et en combattant la propagation d’informations fausses et trompeuses (…) ». En ce sens, les médecins et chercheurs sont aussi extrêmement bien équipés, par leur expertise, dans la lutte publique contre la désinformation. Malheureusement, ils sont trop souvent muets. Produire et partager du contenu pertinent, vulgarisé et accessible sur les réseaux sociaux permettraient d’aiguiser l’esprit critique de la population. Corriger la désinformation devrait être vu comme une responsabilité professionnelle. Les experts devraient, en temps de pandémie ou non, rappeler que la physique quantique n’explique pas le fonctionnement de l’homéopathie ou qu’une irrigation du colon effectuée par un naturopathe ne détoxifie pas le corps.

Pour terminer, les étudiants en santé peuvent avoir un énorme impact positif dans l’éducation populationnelle. Comment? En réagissant aux fausses informations sur les médias sociaux en utilisant leur bagage scientifique. Le but n’est pas de livrer un combat aux trolls - diffuseurs de controverse - qui s’amusent à semer la zizanie, ou aux entêtés dont les convictions en matière de santé sont coulées dans le béton, mais plutôt d’offrir une alternative, un discours crédible dans l’actualité Facebook pour ceux qui lisent et partagent l’information qui défile.

Bref, ce texte a été écrit dans l’intention de sensibiliser la population, et plus spécifiquement les étudiants en santé et science, à l’omniprésence de la désinformation sur les réseaux sociaux et de mettre en lumière les dangers reliés à celle-ci. Le but est de motiver quiconque avec le bon bagage de s’impliquer davantage sur la sphère web. Pourquoi prendre le temps de s’obstiner avec des inconnus sur un article de TVA Nouvelles ou avec des membres de sa famille? Parce que la propagation de la désinformation a des effets extrêmement néfastes sur la santé, notamment avec la diminution de la couverture vaccinale observée depuis des décennies, et plus récemment dans le contexte de la covid-19. Oui, il faut choisir ses combats, mais la promotion de la santé ne se fait pas juste en bureau. C’est donc à vous que je dis aujourd’hui, Avengers assemble.

Marc-André Breton
Externe sénior, UdeM


Références

  1. Bridgman, A.; Merkley, E.; Loewen, PJ; Owen, T; Ruths, D.; Teichmann, L.; Zhilin, O. (2020) The causes and consequences of COVID-19 misperceptions: Understanding the role of news and social media, The Harvard Kennedy School (HKS) Misinformation Review, Volume 1, Special Issue on COVID-19 and Misinformation

  2. Institut national de santé publique du Québec (2020). COVID-19 – Pandémie, croyances et perceptions. En ligne : https://www.inspq.qc.ca/sites/default/files/publications/3050-pandemie-croyances-perceptions-covid19.pdf

  3. Gestion de l’infodémie sur la COVID-19 : Promouvoir des comportements sains et atténuer les effets néfastes de la diffusion d’informations fausses et trompeuses. OMS. 23 sept 2020. Consultée 26-10-2020. https://www.who.int/fr/news/item/23-09-2020-managing-the-covid-19-infodemic-promoting-healthy-behaviours-and-mitigating-the-harm-from-misinformation-and-disinformation

  4. Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS). COVID-19 et Chloroquine / hydroxychloroquine. Québec, Qc : INESSS; 2020. 87p

  5. Evagena, S. et al. CORONAVIRUS MISINFORMATION: Quantifying sources and themes in the covid-19 “infodemic”. The Cornell Alliance for Science, Department of Global Development, Cornell University. Consultée 26-10-2020

  6. Ball, P. et Maxmen, A. “The epic battle against coronavirus misinformation and conspiracy theories.” Nature. News Feature. 27 mai 2020. Web. Consultée 24-10-2020. https://www.nature.com/articles/d41586-020-01452-z

  7. Péloquin, T. Les différents visages des antimasques. La Presse. Dernière mise à jour le 26 sept 2020. Consulté le 26-10-2020. https://www.lapresse.ca/covid-19/2020-09-26/les-differents-visages-des-antimasques.php

  8. CLICHE, Jean-François. « Pas islamophobe, La Meute? ». Le Soleil. 19 juillet 2017. Consulté le 26-10-2020. https://www.lesoleil.com/actualite/pas-islamophobe-la-meute-61518974a806447a9e824bb4528b35fd

  9. Cliche, Jean-François, idem. 

  10. Brennen, S. et al. Types, Sources, and Claims of COVID-19 Misinformation. University of Oxford – Reuters Institute. Publié 9 avril 2020. Consultation le 24 octobre 2020. https://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/types-sources-and-claims-covid-19-misinformation#footnotes