Le Pouls

View Original

Un départ inattendu

Je me souviens encore de la première rencontre avec J.B. Mes souvenirs de lui sont toujours aussi limpides malgré que le temps n’ait cessé de s’écouler. Tout commença lors d’une fin de semaine. J’étais en stage de médecine interne, mais je complétais une garde avec l’équipe de soins intensifs à l’un des hôpitaux de la région de Montréal. Nous étions sur le point de partir, alors qu’une consultation nous fut adressée. Nous nous rendions donc l’étage afin de prendre connaissance du dossier. Il s’agissait d’un homme, d’une quarantaine d’années, sans antécédent pertinent de santé, sans aucune médication/allergie qui venait d’avoir un épisode de convulsion. Le lendemain, coup du hasard, lors de mon stage de médecine interne, on m’assigna J.B. Il était maintenant mon patient et mon devoir était de prendre soin de lui aux meilleurs de mes connaissances. Certes, je n’étais qu’un simple étudiant qui venait de commencer mon externat, mais j’avais la ferme intention d’aider de mon mieux. Je pris donc connaissance de l’ensemble du dossier de J.B. Pas seulement des laboratoires, des imageries, des notes des autres médecins... mais également des notes à saveur plus « sociale », soit celles effectuées par la travailleuse sociale. Il en ressorti de tout cela un cas fort complexe. Voici donc l’histoire de JB et ce que j’ai appris de sa rencontre.

J.B était un homme, un vrai québécois pure laine tel qu’il l’affirmait. Très travaillant, il a su tirer son épingle du jeu et a trouvé un bon emploi malgré son faible niveau de scolarité. Il s’agissait pour lui d’une victoire, une réussite qu’il aimait partager. Ayant un travail décent, cela lui permettait de subvenir aux besoins de lui et de sa jeune sœur. Cette dernière était atteinte d’une déficience intellectuelle sévère. J.B était le seul membre de la famille présent pour subvenir à ses besoins et l’aider dans une vie parfois mal comprise par celle-ci.

Il m’expliqua que tout commença environ 3 mois avant son hospitalisation. Il avait commencé à devenir « jaune ». Son faible niveau de littératie était plus qu’évidant lorsque je lui parlais. Je devais souvent vulgariser. Il s’avait son teint jaunâtre n’était pas normal, mais il repoussait toujours le moment fatidique de se rentre à l’urgence. Pourquoi ? ai-je demandé. Il me répondra, d’un air non équivoque, qu’il se devait de prendre soin de sa sœur. Il était son seul parent.

J.B était l’un des perdants de la loterie de la vie. Malgré qu’il eût projeté une apparence d’homme en pleine santé durant plus de 40 ans, aujourd’hui la réalité était tout autre. Il était atteint d’un ampullome. Une tumeur qui, quoique rare, est extrêmement meurtrière. En effet, son ictère était causé par un cancer avec un taux de mortalité fracassant. Est-ce que son pronostic aurait changé s’il avait écouté son cerveau au lieu de son cœur ? Je n’en sais aucunement. Mais on remarque toutes les valeurs familiales et l’amour que JB ressent envers sa sœur dans son geste de négliger sa propre personne au bénéfice du bien-être de sa sœur.

Son pronostic n’était guère favorable. J’ai compris rapidement que le département de chirurgie ne voulait tout simplement l’opéré (faire un Whipple) parce J.B était trop instable médicalement. De mon côté, je n’avais guère d’autre option à lui offrir. À ce moment, je me ne doutais pas encore que je me fourvoyais royalement.

J’étais convaincu, étant donné qu’il était peu réaliste que son état s’améliore, que J.B fût condamné à être étiqueté tel un vulgaire produit irréparable. Condamné à attendre dans les dédales du système de santé.

Plus les jours avancèrent et plus je pris conscience de la sphère « non-médiale » de J.B. Une sphère que j’avais peu pris le temps d’explorer avec mes précédents patients. J’ai vite réalisé que j’avais peu à offrir au point de vue « médical » à JB. Bien que je puisse essayer de le soulager avec des médicaments pour ses nausées, vomissement et ses épisodes de douleur, je me devais de trouver un autre moyen de lui porter assistance. C’était à ce moment que j’ai compris qu’aider ne devait pas se résumer à des actions médicales au sens strict du terme. Dans cette optique, je me devais de faire mon propre deuil de mon rôle initial de soignant et me réorienter vers une perception plus humaine. Être plus humain et moins médecin. Je me devais d’agrandir ma perception de ce qu’est la médecine. Pour y parvenir, tout d’abord, je décidai de faire preuve de transparence avec J.B. Je lui vulgarisai et lui exposa les faits sur maladie et son état de santé. Je voulais qu’il comprenne l’état actuel des choses. Il m’avait exprimé, à plusieurs reprises, avoir un sentiment qu’on lui faisait des cachoteries. Puis, je lui exposai des idées afin de rentre son séjour à l’hôpital le plus confortable et agréable possible. Comme il était l’aidant naturel de sa sœur, nous avons pris la décision de permettre à celle-ci de pouvoir rester dans la chambre de son frère. Tout au long de son hospitalisation, la plus grosse inquiétude de JB n’était pas son état de santé, mais comment sa sœur allait pouvoir vivre sans son aide s’il devait mourir. C’est l’élément qui le rendait le plus anxieux. Afin d’apaiser un peu son esprit, nous avons impliqué la travailleuse sociale. Également, j’offris à JB la possibilité de rencontrer l’équipe des soins spirituels. Chose qu’il accepta.

À un moment donné, voyant que l’état de J.B se dégradait rapidement, j’ai réalisé l’inévitable. J.B allait mourir. Cependant, sa place n’était pas dans un lit de l’unité de médecine interne. Je décidai d’en faire mention au médecin qui me supervisait. La décision fut prise d’exposer à JB la possibilité de faire une demande en soins palliatifs s’il le désirait. Lorsque nous avons exploré cette option avec J.B, je remarqué que pour lui il s’agit un geste énorme et lourd de sens : accepter sa maladie et ses impacts. Il était réticent, car il avait l’impression de laisser tomber sa sœur. Après cette rencontre, je n’ai jamais revu J.B.

La rencontre avec J.B m’a beaucoup fait réfléchir. J’ai compris que le sens d’aider ne doit pas toujours être considérer comme donner des soins médicaux et poser un diagnostic. Aider se doit d’être envisager dans un sens large : aider en soulageant les maux quotidiens du malade, la douleur, les émotions ressenties, la peur de mourir et encore plus. Aider se doit quelquefois d’être là pour accompagner les malades dans les derniers jours de vie. Être là pour lui dire, nous allons vous soulager. Être là pour rappeler au malade qu’il est toujours humain et qu’il a droit à sa dignité. Être là pour lui offrir un support psychologique. Dans le présent cas, il y a non seulement J.B qui se devait d’être accompagné dans ce processus, mais également sa sœur. Bien qu’elle ne soit pas la malade, elle reste une personne à laquelle nous devons offrir de l’aide. Il ne fallait surtout pas l’omettre.

Quoi qu’il en soit, l’histoire de J.B m’a beaucoup appris sur le médecin que j'aimerais être et comment ma pratique sera dans le futur. Il faut arrêter de présumer que la médecine a toujours les réponses à la maladie, qu’elle a une mainmise sur tout. Il faut apprendre à vivre dans l’incertitude et les zones grises qu’est la médecine. Une personne croyant que la médecine se veut simplement le fait prodiguer des soins est réducteur de notre profession. Il a tort comme j’ai eu tort. Il ne faut surtout pas négliger le côté humain de notre profession. Nous devons apprendre à vivre avec la mort et à ne pas la considérer comme un tabou. Apprendre à accompagner dignement le malade dans ses derniers instants. Il faut surtout se rappeler que la mort est justement ce qui rend la vie aussi chérissable et précieuse. Il ne faut pas la craindre. Mais plutôt s’y préparer de manière conforme à dignité humaine.

Anonyme

Peinture de couverture : Le lit de mort de Carl Ludwig Jessen