Le Pouls

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Du rêve à la réalité

Par Louise Acheraiou

D’où émanent les rêves?

Ceux qui ont vu Inception (Christopher Nolan, 2010) se rappelleront peut-être la scène où l’architecte, Ariadne, et le personnage principal, Dom Cobb, se retrouvent dans un café pour discuter. Celle-ci paraît à première vue se dérouler dans le monde réel, jusqu’à ce que la tasse de café commence à trembler et que les façades des maisons explosent. Le protagoniste, interprété par DiCaprio, s’exclame alors : « On ne se souvient jamais vraiment du début d'un rêve, n'est-ce pas? On se retrouve toujours en plein milieu de ce qui se passe. » En effet, les rêves ont quelque chose de déroutant, car ils semblent survenir de nulle part et n’avoir ni de commencement clair, ni d’objectif précis.

Alors que certains y voient des prémonitions; d’autres tentent d’y expliquer leur passé. Mais qu’en dit la science? D’où viennent-ils et pourquoi semblent-ils si réels? Dans les dernières années, plusieurs neurobiologistes se sont intéressés à ces questions. Joseph de Koninck, professeur de psychologie à l’Université d’Ottawa, affirme que jusqu’à présent « le rêve restait une inconnue pour la science et que les dernières découvertes ont fait complètement changer les choses. »


Une découverte majeure : la zone chaude

Lorsque nous ne rêvons pas, notre cerveau endormi est traversé par des ondes cérébrales de basses fréquences. Dès que nous rêvons, au contraire, les ondes cérébrales, mesurables à l’aide d’un électroencéphalogramme (EEG), augmentent de fréquences et se déplacent dans une partie spécifique du cortex. 

L’équipe de la neurologue Francesca Siclari du CHUV de Lausanne a utilisé cette technique pour étudier l’activité neuronale de 32 patients ayant 256 électrodes posées sur la tête.  En suivant l’apparition d’ondes cérébrales de haute fréquence lors du sommeil des patients, il a été possible de prédire la survenue d’un rêve dans 92% des cas. C’est ensuite en faisant la corrélation entre les récits des participants (qui expliquaient le contenu de leurs rêves) et l’activité de l’EEG, que les chercheurs ont fait une trouvaille majeure. Ceux-ci ont identifié que le siège des rêves se trouvait dans une zone circonscrite à l’arrière du crâne, nommée « zone chaude ». 

Cette région est composée du lobe temporal (aire de d’audition et du langage), pariétal (aire de la perception de l’espace), occipital (aire visuelle) et limbique (aire des souvenirs autobiographiques). Les résultats de l’étude illustrent que ce sont ces zones qui s’activent durant notre sommeil, contribuant à créer les scénarios de nos rêves. La découverte de cette « zone chaude » a suscité plusieurs controverses chez les scientifiques. D’une part, les spécialistes ne s’attendaient aucunement à ce qu’une « zone aussi restreinte du cerveau suffise à faire émerger un état intermédiaire d’expérience consciente. » D’autre part, le fait qu’elle soit localisée à l’arrière du crâne et n’intègre pas le lobe préfrontal, qui est le siège de l’expérience consciente et de la décision, étonne les experts.


Pourquoi nos rêves semblent-ils si réels?

La chercheuse Francesca Siclari en est venue à la conclusion que « face à une perception identique, qu’elle soit réelle ou rêvée, les différentes régions cérébrales impliquées dans l’expérience consciente s’activent exactement de la même façon. » Par exemple, à l’état d’éveil, la zone fusiforme, située dans le lobe temporal, s’occupe de la reconnaissance faciale; or, c’est aussi cette aire qui s’active lorsque l’on perçoit un visage dans notre rêve. Autrement dit, la réalité et le rêve sont cérébralement similaires, ce qui explique pourquoi les rêves paraissent si concrets. Plusieurs chercheurs vont jusqu’à dire que le rêve est plus fort que l’imagination.

Certains croient fermement que ces progrès scientifiques ouvrent la porte au décodage des rêves et à la possibilité de les visualiser en temps réel. D’ailleurs, des chercheurs de l’université de Kyoto ont récemment réussi à développer une intelligence artificielle qui, en observant l’activité cérébrale de volontaires, était capable de reconstruire les images qu’ils observaient; une technique qui pourrait peut-être bientôt s’appliquer aux rêves. En lisant cela, j’ai tout de suite pensé au film  Paprika (Satoshi Kon, 2006) où il est possible, à l’aide d’une simple machine, de s’immiscer dans les rêves des patients et de les enregistrer, afin d’inspecter les tréfonds de leur inconscient. Il n’empêche qu’à mon avis, nous sommes encore très loin de maîtriser à ce point la technologie pour en arriver là. Quoi qu’il en soit, il m'apparaît nécessaire de demeurer vigilants face à une technologie qui s’approche de plus en plus de la science-fiction.

Peut-on contrôler ses rêves?

S’il est possible de contrôler notre environnement lorsque nous sommes pleinement conscients, qu’en est-il de nos rêves? La majorité du temps, nous n’avons aucune emprise sur eux; néanmoins, il arrive parfois de pressentir un éclair de lucidité lors d’un rêve. C’est ce que l’on appelle, sans surprise, un « rêve lucide ». À quoi ce phénomène est-il dû?

Denholm Aspy, spécialiste du rêve lucide à l’Université d’Adélaïde, définit ce mécanisme comme « un état modifié, hybride, de la conscience. » Il s’agit d’un état intermédiaire entre le rêve normal et l’éveil, lors duquel on se rend compte que l’on rêve. C’est encore un phénomène très peu connu, mais les analyses accomplies par IRM ou EEG montrent que le fonctionnement du rêve lucide est singulier. Tout d’abord, celui-ci survient uniquement lors du sommeil paradoxal. Le cortex dorsolatéral préfrontal, qui gère la métacognition (capacité d’autoréflexion) et le lobe frontal, qui dirige les pensées complexes, habituellement inactifs lors d’un rêve « normal », s’activent. C’est alors que le dormeur saisit l’absurdité de son rêve et qu’il est en mesure de le modifier à sa guise. Mais à quoi cela peut-il bien servir? Selon des études récentes, les rêves lucides permettraient d’optimiser l’entraînement sportif, de contrer les cauchemars chez les personnes souffrant de stress post-traumatique, d'accroître la créativité et pourraient éventuellement servir de traitement contre la schizophrénie.

Quelques statistiques

  • On fait un minimum de 5 rêves par nuit

  • 80% des émotions ressenties dans les rêves sont négatives 

  • 40% des rêves sont liés à des évènements qui concernent les jours à venir

  • Seulement 55% de la population ferait un rêve lucide au cours de sa vie.

Peut- on provoquer un rêve lucide artificiellement?

Des chercheurs de l’Institut de la lucidité de Pahoa, à Hawaii, ont réalisé que la prise, au milieu de la nuit, de Galantamine, médicament normalement prescrit contre la maladie d'Alzheimer, multipliait par 3 la probabilité de faire un rêve lucide. À ce jour, on en connaît peu sur l’action de ce médicament, mais on suppose qu’il stimulerait la décharge d’acétylcholine, neurotransmetteur impliqué dans l’apparition du sommeil paradoxal. Cela provoquerait ensuite des sursauts de conscience en plein rêve. Il est à noter que la prise sans prescription de la Galantamine est fortement déconseillée, car très peu de tests cliniques ont été menés sur ses effets secondaires.

La stimulation électrique transcrânienne permettrait aussi de susciter un rêve lucide. Cette technique, qui consiste à émettre de faibles impulsions électriques au niveau du cerveau à l’aide d’électrodes, a pour but d’augmenter les capacités cognitives comme la vision, la mémoire, ou l’endurance. En sommes, on vous envoie des chocs électriques au cerveau pour vous rendre superpuissant : on se croirait vraiment dans un film des Avengers!  À la fois fascinant et troublant.

En 2014, des chercheurs allemands ont obtenu que 77% des rêves récoltés après cette stimulation électrique transcrânienne, lorsqu’elle était appliquée pendant la phase de sommeil paradoxal sur la région fronto-temporale (responsable de la conscience) de patients, comprenaient des signes de lucidité. En effet, les chocs électriques de hautes fréquences, caractéristiques de l’état d’éveil, avaient eu pour effet de provoquer un « éveil de soi » en rêve. 

Ces avancées scientifiques sont hautement stimulantes et nous permettent de mieux appréhender le fonctionnement de notre cerveau pendant notre sommeil. Certaines entreprises, répondant à notre fascination ancestrale pour les rêves, tentent déjà de s’emparer de ces techniques pour vendre à tout un chacun le « pouvoir » (ou l’illusion) de contrôler ses songes. En tant que futurs cliniciens, nous devons rester attentifs à ces développements technologiques, qui pourraient s’avérer bénéfiques ou néfastes selon l’objectif final de leur utilisation.


Sources

Cavaillé-Fol, T. (2018). On peut contrôler ses rêves. Science & Vie, (1215), p.65-81.


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